Héritage : les femmes touchent moins que les hommes, pourquoi ?

Emmanuelle Lopez
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Dans la liste des inégalités hommes/femmes, je voudrais celle qui touche l’héritage. Et oui, même si en matière de patrimoine, le droit français se veut égalitaire entre les deux sexes, depuis 1985 seulement, le déséquilibre demeure. La faute à qui ? À quoi ? Les familles et les professionnels du droit n'y seraient pas étrangers. Pire, ils entretiendraient les injustices. Enquête.

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Un frère et une soeur sont face à face avec le notaire
Selon une étude d'Immonext, à la répartition de l'héritage, les femmes percevraient environ 20% de moins que leurs frères. © Getty Images
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Les injustices successorales, un sujet tabou ?

Les origines des disparités entre hommes et femmes sont variées. On évoque volontiers les différences salariales (20% en moyenne) mais on parle beaucoup moins des iniquités successorales. Pourtant, avec les séparations, ce sont elles qui creusent les écarts de patrimoine entre les genres.

L’étude Patrimoine menée par l’Insee en 2021 prouve que les aînés, les fils surtout, sont privilégiés dans les familles lorsqu’il s’agit de transmettre les biens structurants. Des biens susceptibles de prendre de la valeur au fil des ans, comme des maisons ou des entreprises familiales. Pourquoi à eux ? À cause des clichés : « Les familles préfèrent transmettre leur entreprise aux hommes, vus comme plus aptes à faire fructifier la richesse familiale », explique la sociologue Camille Herlin Giret dans son Enquête sur les gestionnaires de fortune et leurs clients.

En contrepartie, les filles reçoivent une petite « enveloppe ». Cependant, différents spécialistes constatent que pour simplifier les transmissions, ces sommes d'argent sont souvent sous-évaluées par la famille comme par les études notariales.

À noter

« À partir du 8 novembre à 16h48, les femmes travaillent encore gratuitement cette année. Et ce jusqu’à fin décembre », a alerté, une nouvelle fois, Rebecca Amsellem, fondatrice de la newsletter Les Glorieuses.

Aussi, l’Autorité des marchés financiers a rappelé que les femmes n’osaient que rarement placer leur argent pour le faire fructifier. Seules 12,8 % d’entre elles détiennent des actions, contre près de 22 % des hommes. Les femmes voient alors leur part de l’héritage réduire comme peau de chagrin.

Pour Sibylle Le Maire, directrice exécutive du groupe Bayard et fondatrice du média ViveS : « Le monde bancaire et de l’investissement a aussi un travail de fond à effectuer pour s’adresser aux femmes, et il commence d’ailleurs à le faire. Je suis également convaincue que l’on doit opérer un "choc de simplification" des produits d’investissement et mieux les faire coïncider avec les grandes étapes de la vie. De plus, encourager les femmes à investir servira aussi bien le financement des retraites que celui de la transition énergétique, deux autres enjeux sociétaux majeurs. »

Ces inégalités acceptées par les principales lésées

De son côté, la sociologue Céline Bessière, co-autrice de l’ouvrage Le Genre du capital avec Sibylle Gollac, précise dans un article sur le site Dalloz que « les personnes trouvent souvent un arrangement auquel elles souscrivent de plus ou moins bonne grâce. Les héritières sont souvent d’accord sur le fait que certains biens doivent rester dans la famille et que leur frère est le mieux placé pour les conserver. Mais elles voient bien que leur part a été sous-évaluée. Elles acceptent l’idée que les hommes sont porteurs d’un rôle spécifique et que leur réussite est primordiale, mais cela ne va pas sans douleur. Les femmes font tout un travail pour "ne pas se fâcher", et le souci de transmission fait qu’elles acceptent ces consensus. Et les notaires ne le remettent pas en cause ».

Des faveurs héritées de longue date

Fut un temps, l’usage voulait que les fils aînés héritent. Pour les femmes, il y avait les legs ou les dots. Dans une interview au Journal du CNRS, Sibylle Gollac rappelle 2 dates fondamentales, selon elle.

La première : 1804

Le Code civil veut plus de justice, afin que tous les enfants, peu importe leur genre, héritent de la même manière. En théorie puisque « cela n’empêche pas le Code civil d’alors de mettre aussi en place un rapport de subordination entre femmes et hommes dans le cadre du mariage, le mari gérant à la fois le patrimoine du couple et le patrimoine propre de l’épouse », souligne la sociologue.

Autre date : 1965

Les femmes peuvent enfin ouvrir un compte en banque et gérer seules leur patrimoine propre. « Si le mari demeure le gestionnaire des biens communs, il doit tout de même demander certaines autorisations à son épouse, pour vendre ou hypothéquer les biens immobiliers du couple par exemple, poursuit la sociologue. Mais ce n’est que vingt ans plus tard, en 1985, que les deux conjoints sont considérés au même titre comme gestionnaires du patrimoine en commun. » Pourtant, nous l’avons vu, les inégalités persistent. Les traditions et stéréotypes sont tenaces ...

Des injustices cultivées dans le champ familial

Dans leur ouvrage, ces deux sociologues écrivent : « L’inégalité patrimoniale entre femmes et hommes ne naît pas à Wall Street mais dans les replis quotidiens de la vie familiale. Cette inégalité est produite dans le silence des pratiques des hommes et des femmes, lorsqu’ils agissent en tant que conjointe, conjoint, père, mère, fils, fille, frère ou sœur. »

Elles ajoutent que « pour la mettre au jour, il est indispensable de porter un nouveau regard sur la famille. Il faut considérer cette dernière comme une institution économique à part entière, qui produit des richesses, mais aussi en organise la circulation, le contrôle et l’évaluation, que nous appelons les petits arrangements économiques familiaux ».

En clair, il n'est pas rare que le grand frère se voit offrir un « chèque-cadeau », que le cadet reçoive un coup de pouce pour acheter sa maison ou financer ses études... Vous saisissez l'idée.

Des inégalités aggravées avec le mariage

Enfin, lorsque les femmes se marient et deviennent mères, les choses se gâtent, un peu plus. Un communiqué de l'Institut national des études démographiques indique que « de moins en moins de couples se marient sous le régime de la communauté des biens réduites aux acquêts - régime par défaut attribué aux couples mariés qui n’ont pas établi de contrat de mariage. Autrement dit, les couples optent de moins en moins pour un régime juridique qui met leur patrimoine en commun à partir de la date du mariage. Les inégalités en début d’union ont particulièrement progressé dans les couples mariés ou pacsés ayant un régime de séparation de biens. Dans les couples qui ne vivent pas sous le régime de la communauté, les inégalités sont ensuite creusées par la moindre capacité d’épargne des femmes par rapport aux hommes ».

Le travail domestique gratuit

Effectivement, lorsqu'elles ont un enfant, beaucoup de femmes mettent leur carrière professionnelle en suspens, voire entre parenthèses. Et Sibylle Gollac signale, dans une interview au Journal du CNRS, que « les femmes sont spécialisées dans un travail gratuit, le travail "domestique". Si ces tâches ménagères constituent un vrai travail, celui-ci a la propriété d’être réalisé dans la sphère privée et d’être gratuit»

Elle rappelle par ailleurs que « l’enquête Emploi du temps de l’Insee de 2010 montre que, si on additionne le temps de travail rémunéré et le temps de travail domestique des personnes en couple avec enfant, les femmes travaillent en moyenne 54 heures par semaine contre 51 pour les hommes. Les deux tiers de ce temps de travail sont gratuits pour les femmes, tandis que deux tiers sont rémunérés pour les hommes. Cela aboutit à des inégalités de revenus importantes (42 % en moyenne) dans les couples de sexe différent, en France, alors que les femmes sont en moyenne plus diplômées que les hommes. »

Et en euros, ça fait combien ? Pour vous donner une idée, « l’Organisation internationale du travail (OIT) a mesuré la valorisation économique de toutes ces tâches réalisées : cela équivaut à 14,8 % du PIB de la France. Et à l’échelle du monde, la valeur du travail domestique des femmes contribuerait au moins à 10 000 milliards de dollars par an, soit 3 fois l’industrie du numérique ! » rapporte l'Oxfam.

Et que dire en cas de séparation ?

En cas de divorce ou de séparation, les pensions alimentaires sont, dans 97 % des cas - d'après le Haut Conseil de la famille - à la charge des pères. Celle-ci est déductible de leurs revenus imposables. De son côté, la mère est imposable sur la pension reçue, alors que celle-ci sert aux enfants dont elle s'occupe quotidiennement.

Et pour réduire ces disparités ?

Selon le rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), la pension de retraite des femmes est inférieure de 40 % à celle des hommes en moyenne en 2021, y compris la majoration pour enfants, mais hors pension de réversion. Cet écart passe à 28 % si l’on ajoute ces droits à la pension de réversion, dont les femmes bénéficient en majorité, ce qui reste néanmoins élevé. 

Dans un entretien avec L'Humanité, Céline Bessière prédit « une génération de femmes qui vont arriver avec de toutes petites retraites car elles n’auront pas les mécanismes de compensation. À ce jour, 40 % des pensions de retraite des femmes sont constituées de pensions de réversion ». Alors, elle imagine, « par exemple, que la prestation compensatoire ou les pensions de réversion soient étendues aux couples non mariés, ou encore abolir l’héritage ». Néanmoins, elle reste assez sceptique quant à son application. 

Plus raisonnablement, d'autres experts envisagent que le couple constitue un plan d'épargne retraite au bénéfice de la femme, qu'il se repartisse plus équitablement les dépenses et tâches domestiques ou encore qu'il investisse ensemble.

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