Société : le boom des "Tanguy"

Emmanuelle Lopez
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En 2020, près de 5 millions d'adultes n'avaient pas quitté le nid familial. Même si 1,3 million d'entre eux travaillaient. La faute, selon une étude de la Fondation Abbé Pierre, à la pénurie de logements, à des loyers trop élevés et des salaires parfois insuffisants pour prendre son envol. Explications.

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pere et fils prenant un café sur la terrasse de la maison familiale
À 30 ans, 3 % des femmes vivent chez leurs parents contre 13 % des hommes, selon le rapport de la Fondation Abbé Pierre. © Getty Images
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+ 250 000 "Tanguy" en sept ans

Certains films marquent une société. C’est le cas de Tanguy, d'Étienne Chatiliez, sorti en 2001 mais toujours incroyablement actuel. Le personnage principal de 28 ans, qui vivait toujours chez papa maman parce que c’était plus agréable, a saisi l’inconscient collectif : il désigne aujourd’hui ces jeunes adultes qui n'ont pas encore quitté le nid familial. En 2024, ce phénomène prend de plus en plus d’ampleur et la cohabitation est souvent contrainte.

Selon une enquête menée par la Fondation Abbé Pierre (FAP), entre 2013 et 2020, le nombre de jeunes adultes hébergés chez leurs parents a augmenté : en 2013, ils étaient 4,67 millions à vivre chez leurs parents ; en 2020, ils étaient 4,92 millions, ce qui fait une hausse de 250 000 personnes en 7 ans. L'enquête précise que « la hausse du nombre de personnes concernées depuis 2013 relève aussi du fait que les enfants du baby-boom de l'an 2000 arrivent progressivement à l'âge adulte ».

Si certains vivent chez leurs parents, d'autres, environ 600 000 personnes (soit +15% depuis 2013), sont hébergés par des tiers (amis, cousins...) ou chez leurs propres enfants.

Qui sont les Tanguy ?

Ces "Tanguy" sont en grande majorité des 18-24 ans (+ 13,5% selon la même étude) ; la part des 25-34 ans augmente (+3,6%) mais celle des plus de 35 ans diminue (-19,5%). Ce sont près de 1,32 million d’actifs à loger chez leurs parents.

Ce phénomène est « symptomatique de la pénurie de logements accessibles », qui s'est d'ailleurs aggravée depuis 2020, et « peut refléter des salaires trop bas et des niveaux de loyers trop élevés », estime la FAP. Près de 588 000 de ces Tanguy étaient au chômage, un chiffre en baisse de près d'un tiers par rapport à 2013.

Les jeunes hommes sont plus nombreux (2,8 millions) que les femmes (2,1 millions). Ce n’est pas nouveau et cela s'explique entre autres « par une mise en couple plus précoce des jeunes femmes, dans des relations où la femme est en moyenne plus jeune que son conjoint », souligne la FAP.

Comment les "Tanguy" vivent-ils cette situation ?

Parmi les près de 5 millions de "Tanguy", la moitié est étudiante, soit 2,4 millions de personnes. Et ces étudiants s’accommodent de cette situation. Elle les soulage même, ils ont ainsi moins de responsabilités, de contraintes, du moins quand les conditions de vie sont convenables. Ils peuvent ainsi prolonger leurs études et mieux préparer leur avenir lorsqu’ils débutent leur vie professionnelle. D'autres n'ont pas cette chance : sans possibilité d'hébergement par leur famille, il arrive que des étudiants logent au camping, faute de mieux. 

Dans tous les cas, quand cette situation s'éternise, « elle constitue un frein majeur à leur autonomie, en particulier quand ils ne sont plus étudiants, travaillent, voire vivent déjà en couple», souligne le rapport.

Des solutions alternatives tendent à se développer depuis quelques années : l'habitat partagé pour un choix de vie en communauté ou encore le coliving entre espaces partagés et espace privé.

Les enfants boomerang, vous connaissez ?

C'est la sociologue canadienne Barbara Mitchell qui met en lumière le concept d'enfant boomerang dans son ouvrage L'âge du boomerang, les transitions vers l'âge adulte dans les familles. Il s'agit donc d'adultes de 30/40 ou 50 ans qui retournent dans le foyer parental après l’avoir quitté des années plus tôt.

Les raisons sont multiples : peine de cœur, pénurie de logements, inflation, chômage…  « Dans le modèle français, les jeunes quittent le domicile parental soutenus économiquement par leurs parents », explique Sandra Gaviria, sociologue (Université du Havre-Normandie), dans une interview au Progrès. À une époque, ce retour a pu être mal perçu de l’extérieur. Aujourd’hui, il est mieux accepté.

« L’étude du passage à l’âge adulte doit prendre en compte ces retours successifs, non pas comme un recul par rapport à un temps et à un modèle passés qui n’existent plus, mais comme faisant partie de comportements actuels qui risquent de perdurer et de prendre de l’ampleur », prévient-elle. Au micro de France Inter, elle ajoutait que ceux qui retournent au bercail cultivent « automatiquement un sentiment de régression et vivent eux-mêmes ce retour comme une contrainte, une honte, un échec à court terme ». Ce qui ne rend pas la cohabitation des plus simples.

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